Gaëlle Loinger-Benamran, Conseil en Propriété Industrielle, est co-fondatrice du cabinet d’avocats et de conseils en propriété industrielle TAoMA Partners. Elle en dirige le département évaluation financière des actifs immatériels et en co-anime le département marques.
TAoMA Partners est l’une des premières sociétés pluri-professionnelles d’exercice réunissant des Avocats et des Conseils en Propriété Industrielle.
Gaëlle Loinger-Benamran a notamment participé à la rédaction d’un guide sur les SPE en tant que Présidente de la Commission Avenir de la Profession et Numérique de la CNCPI (Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle). Membre d’Emerize, elle a accepté de répondre à nos questions sur l’origine, le contenu, l’avenir de ce guide ainsi que sur les SPE en général.
Qu’est-ce qui a motivé la création de ce guide ?
Ce guide, publié en juillet 2020, est le fruit d’un groupe de travail qui a réuni 6 ordres : la Compagnie Nationale des Commissaires de Justice ; l’Ordre des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation ; le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables (CSOEC) ; la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle (CNCPI) ; le Conseil Supérieur du Notariat (CSN) ; le Conseil National des Barreaux (CNB).
Constitué d’une quinzaine de personnes, ce groupe de travail s’est réuni mensuellement pendant près de 2 ans. Il a été lancé à l’initiative du CNB et plus particulièrement de la Commission du statut professionnel de l’avocat présidée par Audrey Chemouli . L’objectif était d’apporter des réponses concrètes aux questions pratiques que peuvent se poser les professionnels désireux de créer une SPE.
Au moment de la rédaction du Décret du 5 mai 2017, le législateur a choisi de laisser une certaine marge de manœuvre aux différentes professions dans la définition des modalités pratiques. C’est positif car aller trop dans le détail aurait pu être contraignant pour les professionnels et être un frein pour s’approprier ce nouvel outil qu’est la SPE, tant les différentes configurations possibles et les problématiques engendrées sont nombreuses.
L’idée de rédiger un guide pratique s’est rapidement imposée et nous et a semblé être un outil pertinent pour aider les professionnels. L’objectif de ce guide est double : faciliter autant que possible les projets de création de SPE par les professionnels et guider l’analyse par les ordres des demandes d’agréments.
Comment est structuré le guide ?
C’est un guide très pratique où l’on a distingué toutes les grandes questions pouvant se poser (secret professionnel, déontologie, activités commerciales accessoires, communication, convention collective, assurances, règles comptables) avec un petit rappel des règles applicables à chaque profession et une FAQ sur des questions concrètes.
C’est une première version qui a, sans aucun doute, ses limites puisque des questions ne se sont pas encore posées en pratique, même si nous avons essayé d’en anticiper un maximum. Il a donc vocation à évoluer de manière régulière et à être enrichi de cas et de questions concrètes que ne manqueront pas de se poser les professionnels et/ou les ordres.
Comment s’est passée la collaboration entre les différents ordres ?
La collaboration s’est très bien passée, même si nous avons parfois eu des discussions animées et des divergences d’opinions sur certains sujets clés.
L’ambiance de travail a toujours été constructive et très sympathique.
Quelle a été votre stratégie de communication pour diffuser le guide ?
Nous devions initialement organiser un colloque pour présenter le guide mais la situation sanitaire n’a pas rendu cette option possible. Nous avons donc simplement réuni les Présidents des ordres pour une petite cérémonie de signature, à laquelle ont également participé les membres du groupe de travail. Notre communiqué de presse a été repris dans plusieurs articles spécialisés.
Quelle a été votre valeur ajoutée sur ce projet ?
J’ai créé une SPE il y a deux ans et j’ai été confrontée, au moment de sa constitution, à plusieurs problématiques sur lesquelles j’ai pu apporter un retour d’expérience, je l’espère, utile. Par ailleurs, j’ai pu apporter un regard concret sur certaines questions pratiques liées à la vie des SPE, que j’expérimente tous les jours.
Quel est le lien entre cette démarche et le travail d’Emerize ?
Il y a un lien tout à fait évident entre les deux. Emerize, que j’ai rejoint il y a quelques mois, est un groupe de réflexion qui travaille sur l’avenir des professions règlementées et les attentes des jeunes confrères qui s’installent. La SPE, et l’interprofession en général, font partie des réponses à ces attentes.
La SPE s’inscrit donc vraiment dans les réflexions d’Emerize. Faire partie de ce think-tank nourrit les réflexions et contacts que je peux partager dans le groupe inter-ordres et inversement.
Savez-vous combien il y a de SPE en France aujourd’hui ?
Non je n’ai pas cette information. Chaque ordre connait le nombre de SPE impliquant des professionnels de sa profession mais je n’ai pas connaissance d’un fichier qui centraliserait le nombre total de SPE. A ce jour aucune SPE ne combine l’ensemble des 9 professions. En pratique, à ma connaissance, la plupart des SPE regroupe 2 ou 3 professions.
Avez-vous un premier retour d’expérience sur celles qui ont été créées ?
Les premiers retours que j’ai, et que je partage étant moi-même passée par là, sont essentiellement des lenteurs et lourdeurs administratives de la part des ordres. Certaines professions ont des chambres régionales et la pratique, même au sein d’une même profession, n’est parfois pas encore appliquée de manière uniforme dans toutes les régions.
La mise en place a été compliquée et les premiers qui se sont lancés dans cette aventure dès 2017/2018 ont un peu essuyé les plâtres. C’est notamment le cas pour ma SPE où nous avons dû faire face, par exemple, à une problématique d’assurance qui ne s’était pas encore posée.
Les choses vont toutefois en s’améliorant compte tenu du nombre croissant de demandes et bien sûr, grâce à notre guide pratique !
Il faut avoir conscience que la constitution d’une SPE prend beaucoup de temps et soulève de nombreuses problématiques qu’il faut impérativement anticiper. Cela me semble indispensable d’être accompagné par des professionnels aguerris (avocats pour la rédaction des statuts et des pactes d’associés, experts-comptables/commissaires aux apports pour la valorisation des différentes activités éventuellement pré existantes à la SPE etc…)
Enfin, à ma connaissance, aucune SPE ne s’est encore dissociée, ce qui est une bonne nouvelle !
Quels sont les avantages d’une SPE selon vous ?
Indéniablement le partage et l’émulation. Le fait de discuter et de croiser les regards et les expertises sur les dossiers traités en commun permet d’être plus pertinents et efficaces. Chacun garde son indépendance et ses spécificités et c’est ce mariage de la différence qui fait la force du groupe.
C’est fondamental aussi de partager une vision et des valeurs avec ses associés et d’être d’accord sur les moyens pour atteindre ses objectifs. Pour ma SPE, nous sommes associés avec des avocats spécialisés en IP/IT et en droit de la communication et des médias avec lesquels nous travaillions déjà depuis une dizaine d’années.
Même si nous partagions des valeurs communes, nous avons tout de même pris du temps avant de concrétiser notre association, pour confirmer notre compatibilité et nos affinités sur les projets et les moyens.
Quel retour avez-vous eu de la part de vos clients ?
Nos clients sont ravis de notre évolution ! On a des retours très positifs : les clients mesurent vraiment toute la plus-value qu’on peut leur apporter grâce à nos expertises croisées et à nos synergies. Nous avons aussi pu conquérir de nouveaux clients qui ont tout de suite adhéré à notre vision. Cela fait également sens pour eux de s’adresser à un guichet unique.
Et puis, il y a certains clients pour qui cela n’a rien changé car ils continuent de faire appel à nous pour des besoins centrés exclusivement sur l’activité CPI ou sur l’activité avocats.
Quelle est la suite pour votre groupe de travail ?
Nous avons appelé de nos vœux la création d’une commission paritaire qui se concerterait sur les cas compliqués. Pour qu’une SPE puisse s’installer, elle doit fournir ses statuts et pacte d’actionnaires aux ordres concernés, qui doivent donner leur agrément.
On peut avoir des demandes de révision de la part d’un ordre qui ne soient pas compatibles avec celles d’un autre. La mise en place d’une commission où les agréments seraient examinés en commun rendrait le processus plus fluide.
Par ailleurs, le groupe de travail va continuer à se réunir régulièrement pour faire évoluer le guide à la lumière des retours pratiques, que nous espérons nombreux !