strategie

La médiation dans les conflits entre associés : résoudre plutôt que trancher

04 Mars 2024

La médiation, véritable solution alternative aux litiges judiciaires, offre un cadre unique pour la résolution des conflits. Animatrices et invitées du dernier débat de notre think tank Emerize autour de la médiation dans les conflits entre associés, Christiane Féral-Schuhl, associée fondatrice du cabinet Féral et ancienne présidente du Conseil National des Barreaux , et, Anne Messas, associée fondatrice du cabinet Taoma Partners, nous partagent aujourd’hui leur longue expérience de la médiation, pour en comprendre les dynamiques, les atouts et les conditions de son succès.

 

Vous êtes toutes les deux des médiatrices de longue date. Selon votre expérience, comment expliquez-vous l’efficacité de la médiation ?

 

Christiane Féral-Schuhl : Si je m’en rapporte à ma propre expérience, les résultats sont en effet très positifs. J’y vois deux raisons principales. La première tient à la confidentialité, car nombreux sont les acteurs qui n’ont pas envie de publicité autour de leurs différends. La deuxième raison tient au fait que les entreprises ne peuvent pas se permettre de s’enliser dans des procédures trop chronophages. Elles doivent toujours être dans l’efficacité et un litige peut véritablement impacter leur activité. J’ajouterais que la médiation permet un dialogue direct entre les parties qui n’existerait pas devant le juge, puisque celui-ci se fait par l’intermédiaire des avocats, qui en pratique, sont dans l’argumentaire, et non dans l’échange. Dans le fait de dialoguer, il y a un lien qui s’établit, et je constate souvent que les solutions trouvées s’inscrivent dans une volonté de rétablir une relation, de recréer du lien, et pas seulement de “gagner” un litige ou de faire « payer » l’adversaire.

Anne Messas : J’abonde totalement dans ce sens. L’atout majeur de la médiation, c’est que les parties prennent véritablement la responsabilité et le contrôle de la solution. Devant un tribunal ou dans le cadre d’un arbitrage, elles se soumettent à la décision d’un tiers. Dans la médiation, les parties vont pouvoir mettre en œuvre toute leur imagination pour trouver la ou les solutions qui peuvent régler l’ensemble de leurs différends. Il n’est pas simplement question d’une procédure en cours, mais bien du conflit dans sa globalité. Il y a donc aussi une réelle économie en termes d’honoraires et de coût de procédures, notamment pour les entreprises qui sont opposées dans de multiples procédures, y compris à l’étranger. La médiation, c’est la possibilité de faire d’une pierre deux coups.

Quelles sont les conditions du succès d’une médiation ?

 

Christiane Féral-Schuhl : L’expérience du médiateur est essentielle. Les avocats me semblent avoir la plus grande légitimité pour être médiateurs, parce qu’ils ont une connaissance et une expérience de tout l’environnement judiciaire. Cela permet de donner les bonnes orientations, et de mesurer les enjeux du litige, dans sa globalité. J’ajouterais, bien sûr, la loyauté des parties. Il faut venir autour de la table sans instrumentaliser la médiation, en déposant les armes et en cherchant véritablement une solution. Enfin, la spécialité du médiateur peut apporter une dimension complémentaire et très utile, selon la nature du conflit.

Anne Messas : J’ajouterais d’inciter les parties à préparer intensément la médiation. C’est-à-dire à se préparer aux conditions de la médiation, donc au processus, mais aussi au worst case scénario. Que va-t-il se passer si la médiation échoue ? Quels sont les enjeux ? Il est nécessaire que les personnes viennent en conscience à la médiation, et non pas en touristes, car sinon, oui, peut-être qu’il sera possible de rétablir le dialogue, mais il sera difficile d’aller jusqu’à la construction d’accords. La phase de négociation des accords est absolument cruciale, et c’est pour cela qu’il faut avoir tous les enjeux en tête.

La médiation dans le cadre d’un conflit entre associés pose-t-elle des difficultés particulières ?

 

Christiane Féral-Schuhl : Je ne dirais pas de difficultés, mais plutôt des spécificités. Si les avocats ne viennent pas avec la volonté de rechercher des solutions, la situation peut devenir laborieuse, car ils vont être dans le « combat », ce à quoi ils sont habitués dans leur exercice quotidien. Par ailleurs, les avocats préfèrent de plus en plus souvent recourir à une médiation hors les circuits des procédures internes de l’ordre des avocats. Il y a là manifestement un changement de comportement qui interroge.

Anne Messas : Comme vous, je ne parlerais pas de difficulté. La particularité des conflits entre associés, c’est souvent la dimension émotionnelle. Selon l’histoire de l’association, il y a des relations de proximité très importantes, et selon l’ancienneté du conflit, il peut y avoir des positions figées, et des difficultés à rétablir le dialogue. Il est possible de comparer ça à un divorce, où l’affect, les sentiments de trahison ou d’abandon peuvent être très forts. En tant que médiateur, il ne faut pas se décourager en voyant les positions extrêmes des personnes, et avancer progressivement, avec dextérité, pour arriver à une discussion rationnelle.

Vous parliez de dextérité. Utilisez-vous une méthodologie, ou des leviers particuliers pour mener à bien une médiation ?

 

Anne Messas : Comme je disais tout à l’heure, j’invite fortement les avocats des parties, et les parties si elles sont toutes seules, à se poser des questions très concrètes sur les enjeux. De comprendre les conséquences en cas d’échec de la discussion. Je dois donc ouvrir les champs pour les pousser à avoir le plus d’éléments possibles dans le cadre de la discussion. Ce ne sera pas tant pour mon analyse personnelle, mais plus pour que les parties puissent avoir une compréhension objective du contexte juridique et commercial. C’est pour moi tout l’enjeu de la préparation. Dans la phase numéro 1 qui est la restauration du dialogue, j’utilise l’écoute, la reformulation le questionnement, qui sont des outils essentiels du médiateur. Avec ces outils, l’idée c’est de dénicher les malentendus, de collecter des faits bruts, de faire sortir les personnes de leurs interprétations et de leurs jugements sur les faits qui sont la source des problèmes de communication.

Dans la phase numéro deux, que j’appellerais la phase des accords, je peux utiliser les outils de la négociation raisonnée, pousser les parties à rechercher des options, des critères objectifs, des solutions qui ne viennent pas immédiatement à l’esprit et qu’on suscite avec une forme d’animation de réunions, et tout type d’interactions constructives.

Christiane Féral-Schuhl : J’utilise pour ma part deux éléments. Le premier, c’est la reformulation qui a été évoquée par Anne. Je pense que c’est important que chaque partie entende ce qu’elle vient de dire en termes reformulés, contextualisés. Le second élément, ce sont les apartés que j’utilise beaucoup. Parce que les parties se livrent en apartés, donc en réunions séparées, il n’y a plus ce jeu de rôle, souvent contreproductif, que l’on peut trouver en séance plénière. Je trouve que cela fait avancer plus efficacement le débat.

Quels sont les obstacles à la médiation ?

 

Christiane Féral-Schuhl : De mon expérience, le principal obstacle est la posture des avocats lorsque ceux-ci ne s’investissent pas dans le processus de la médiation, soit parce qu’ils ne jouent pas le jeu, soit parce qu’ils n’ont pas vu l’intérêt de la médiation pour leur client. L’autre problème, c’est que, parfois, vous n’avez pas les bons interlocuteurs. N’étant pas mandatés pour négocier, ils ne peuvent qu’enchaîner les allers-retours pour aller demander l’autorisation à leur hiérarchie. Et comme la hiérarchie n’a pas participé aux entretiens, toute la discussion devient chaotique.

Anne Messas : J’approuve totalement ce dernier point : ne pas avoir le bon interlocuteur lorsqu’on fait une médiation d’entreprises. C’est vraiment un point de vigilance extrêmement important pour les médiateurs d’avoir la bonne personne, ce qui n’est pas chose facile. L’autre point difficile à surmonter, c’est effectivement le manque d’engagement. Venir à la médiation de manière déloyale pour récolter des informations, ou pour faire plaisir au juge, pour dire que “oui, on a essayé”, cela rend impossible le travail du médiateur. Cela veut dire que les parties n’ont pas compris l’intérêt de la médiation, ou que les personnes sont dans un conflit qui est trop ancien, trop installé depuis trop longtemps, pour que cette démarche fonctionne.

Intégrez-vous au sein du processus des tiers qui pourraient dénouer la situation ?

 

Christiane Féral-Schuhl : Effectivement, cela peut arriver. Par exemple, un expert. J’ai déjà fait intervenir un CPI, voire même les deux CPIs des deux parties dans un dossier, en leur faisant signer un engagement de confidentialité. Les parties peuvent vouloir faire intervenir un tiers, par exemple un tiers non expert qui va apporter son éclairage sur le conflit. Dans tous les cas, il faut l’accord des parties, il faut que la démarche soit consensuelle.

Anne Messas : Effectivement, ce n’est pas la définition même de la médiation. Mais c’est une approche que je trouve efficace, et qui a tendance à gérer le problème dans sa globalité, en impliquant tout un cercle de gens concernés. C’est plus complexe à mettre en place, mais la vertu est assez évidente.

Pouvez-vous nous partager l’exemple d’une médiation qui vous aurait particulièrement marqué ?

 

Christiane Féral-Schuhl : Pour ma part, il s’agissait d’un conflit au sein d’une copropriété à cause des frais de réparation de la toiture. Je crois que c’était les frais de réparation de la toiture. Cela ressemblait, comme on peut l’imaginer, à une guerre des tranchées au sein de la copropriété. Mais la solution a émergé lorsque l’un des copropriétaires a proposé de prendre en charge l’intégralité des frais de réparation de la toiture moyennant le droit de disposer d’un droit de construire que la copropriété lui refusait depuis longtemps. Ce qui est intéressant, c’est de mettre cette solution « gagnant-gagnant » en parallèle avec ce qu’aurait pu décider le juge. Celui-ci aurait appliqué les règles de répartition prévues par le règlement de copropriété avec éventuellement des sanctions pour résistance abusive de tel ou tel copropriétaire. Dans le cas d’espèce, nous avons trouvé une véritable solution de médiation et rétabli des relations pérennes au sein de la copropriété.

Anne Messas: Je pense à ma dernière médiation. J’ai été saisie par la dirigeante d’une entreprise, pour faire une médiation entre elle et son équipe à la suite d’un changement important dans la structure. Ce qui était vraiment intéressant, c’est, que non seulement, nous avons mis à jour des difficultés que les personnes n’osaient pas exprimer dans l’organisation de leur travail, conduisant à de la résistance et à un manque de productivité, qui se ressentait sur le chiffre. Mais surtout, nous avons réussi à élaborer, un fois le dialogue rétabli, un ensemble d’accords pour organiser la prise de décision et prévenir les futures difficultés de communication. C’est très gratifiant de se dire qu’en tant que médiateur on peut aussi apporter son aide pour construire de nouvelles bases. Cela sort du contexte juridique. Ce n’est pas non plus du coaching. Ce sont des règles de bon sens, très opérationnelles, que les parties elles-mêmes ont identifiées et qui vont permettre à l’entreprise de retrouver de l’élan et une communication sur des bases saines. La médiation peut aussi offrir cela : mettre en place des règles, des accords, pour prévenir les futurs conflits.