Dans le monde professionnel, les « hard skills » désignent les compétences techniques, métier, ou rationnelles, alors que les « soft skills » visent les compétences comportementales, humaines, mobilisées par les individus en fonction des situations.
Ces aptitudes, loin d’être « soft », sont indispensables pour être véritablement au service de nos clients, respecter notre déontologie ou encore avoir une valeur ajoutée à côté de l’intelligence artificielle.
Nos métiers consistent à être en interaction avec des clients, des magistrats, des fonctionnaires d’offices et administrations, des confrères, des parties adverses, des collaborateurs, des collègues… Ils ont, comme nous, des frustrations, des inquiétudes, des émotions, des besoins. Pourtant, nous ne sommes formés ni à comprendre notre fonctionnement en tant qu’humains, ni à le prendre en compte dans notre quotidien.
Ce n’est pas notre métier ; certains diront que nous ne sommes pas « psys ».
La connaissance de soi et de notre fonctionnement ne relève pas de la thérapie. Il s’agit de connaître nos mécanismes, comprendre nos interlocuteurs, apprendre à être en relation voire en connexion avec eux, pour les aider à résoudre des situations.
Donc, si, c’est notre métier.
A qui n’est-il pas arrivé d’être découragé par le comportement du client mutique, absent de son dossier, ou au contraire par celui qui, omniprésent, inquiet, qui va vérifier cent fois nos indications, ou encore par le client directif qui a dix minutes à consacrer à son dossier et qui nous enjoint de gagner son affaire ? Et que dire de notre exaspération devant le collaborateur qui est totalement figé alors qu’une urgence vient de tomber ?
Si nous avions en tête que nous avons tous des réactions primaires et humaines face au stress (le système combat/fuite), si nous avions conscience que nos comportements sont souvent des mécanismes de défense naturels, qui nous permettent de maintenir à distance une émotion très forte, nous pourrions reprendre un peu de contrôle sur nos frustrations, traverser la situation en coopération avec l’autre, et vivre nos relations avec plus de sérénité. Et donc moins de stress.
Malgré l’avancée des recherches sur notre cognition et les travaux sur nos fameux biais cognitifs, nous en sommes encore à nous indigner des affirmations péremptoires de notre jeune collaborateur (biais d’excès de confiance), à nous flageller à cause de notre tendance à recruter des personnes sympathiques mais peu compétentes (biais de la sympathie) ou à l’inverse, très diplômées (biais d’autorité) mais pas très empathiques.
Ces biais qui nous affectent font partie de notre humanité, ce sont des limites de notre cognition. Ils révèlent notre tendance naturelle à avoir des jugements hâtifs, fondés sur nos croyances et nos préjugés, influencés par nos émotions.
Difficile d’admettre notre imperfection mais, à la lumière de nos connaissances actuelles et face aux défis qui attendent nos professions réglementées, ne pas la prendre en compte relève du déni, voire du manque de professionnalisme.
Connaître et identifier nos biais nous permet de développer des stratégies pour s’ouvrir aux avis extérieurs, reculer nos décisions, élargir notre champ d’informations, recouper nos données, et surtout coopérer, collaborer.
Dans notre champ d’expertise, nous détenons un savoir, nous sommes capables de collecter des données, les recouper, les analyser, en déduire une solution. Or qui fait cela aussi ? L’intelligence artificielle, les legaltechs…
Cependant, nous sommes les seuls à pouvoir imaginer des solutions créatives, poser les bonnes questions, apporter du soutien, entretenir la confiance, fidéliser, convaincre, faire des demandes, échanger, partager, négocier, médier.
Mais est-ce que nous savons écouter sans nous précipiter pour poser un diagnostic, une analyse ou un jugement (écoute) ? Est-ce que nous savons accepter les émotions de nos interlocuteurs sans nous sentir mal à l’aise, les repousser ou nous transformer en sauveur (accueil, empathie) ? Savons-nous nous mettre à la place de l’autre, comprendre ses ressentis, ses besoins (empathie) ?
Des études révèlent que le simple fait de nommer une émotion diminue son intensité et améliore la prise de décision. Une personne qui est entendue est en confiance et est plus à même de faire tomber ses défenses, livrer ce qu’elle a de meilleur, déployer sa créativité.
Sans nous transformer en psy., nous pouvons gagner, avec un peu de formation, en discernement et en efficacité dans la résolution des problèmes.
Alors que l’inverse conduit à des conduites d’évitement, refus de coopérer, résistance au changement, et… possiblement au départ des collaborateurs, des clients.
Quand on dit d’un collaborateur « il passe bien avec les clients », « il passe bien avec le juge », ou d’un manager qu’il « est un bon manager », qu’y a-t-il derrière ces mots ?
Des softs skills : intelligence relationnelle, écoute, assertivité, adaptabilité, gestion des conflits, capacité à sortir de sa zone de confort…
Et lorsqu’un un client dit de son expert-comptable, notaire, conseil, avocat « il est très bon », mais il est « froid », il est « distant », « hautain » il est « très occupé », il parle du manque d’empathie.
Nous ne posons pas de mots sur les compétences comportementales que nous avons ou qui, parfois, nous manquent.
C’est pourquoi nous ne savons ni sur quelle base nous posons des appréciations, ni sur quoi nous-mêmes avons été jugés.
Cela nous prive de la possibilité de nous améliorer.
Nous sommes inégaux devant les compétences comportementales mais ce n’est pas une fatalité. Il faut accepter d’affronter la connaissance des mécanismes humains, avoir le courage d’accueillir les émotions, et sortir du tabou et du déni.
Puis se former.
Des référentiels des softs skills sont en cours d’élaboration pour la profession d’avocat, et existent déjà dans les entreprises où ces compétences sont évaluées lors des entretiens annuels.
Les déontologies de nos professions ont pour point commun les valeurs d’indépendance et de conscience :
– la conscience c’est la connaissance de soi et de ce qui nous entoure,
– l’indépendance c’est la capacité à agir sans emprise ; elle est traditionnellement appréciée par rapport aux autres, ou à un pouvoir extérieur. Mais elle devrait s’apprécier par rapport à notre capacité à s’affranchir du joug de nos impulsions et émotions.:
C’est tout l’enjeu des soft skills, car développer ses compétences comportementales vise à répondre en conscience à des situations au lieu d’y réagir.
Et les bénéfices secondaires sont nombreux : amélioration de la confiance dans nos relations, efficacité, coopération, créativité… plaisir.
Et surtout, attirer ou garder les jeunes talents qui boudent ou quittent nos professions car elles sont jugées trop stressantes… quand elles ne sont pas dénoncées comme des nids à burn-out ou harcèlement.
Alors, on se forme pour évoluer tous ensemble ?