A l’heure où les mutations économiques et sociétales contraignent les entreprises à repenser leur organisation, la gouvernance devient un enjeu majeur. Elle l’est particulièrement dans les structures libérales où des dirigeants choisis pour leur expertise métier concentrent tous les pouvoirs.
Apparue dans les années 90’ pour lutter contre les dérives de l’exercice solitaire du pouvoir par les dirigeants, la notion de gouvernance a remplacé celle de direction.
Elle repose sur l’idée d’une divergence d’intérêts entre les propriétaires de l’entreprise et ses dirigeants dans un système où la création de valeur n’est plus recherchée au seul profit de l’actionnaire mais est valorisée pour l’ensemble des parties prenantes au regard desquelles la performance est mesurée.
Allant bien au-delà de l’organisation, la gouvernance intègre la notion de contrôle et interroge plus largement sur les modalités de prise de décision et de partage du pouvoir.
Les professions du chiffre et du droit n’échappent pas aux problématiques inhérentes à toute entreprise que sont les phénomènes de concentration, la pression sur les prix, la digitalisation, les nouvelles méthodes de travail et des collaborateurs désormais en quête de sens. A cette remise en cause générale des business models traditionnels, s’y ajoutent des particularités intrinsèques qui sont autant de freins supplémentaires à leur évolution.
Beaucoup des professions réglementées pensent encore gérer un cabinet quand leur croissance les a transformées en une PME de plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires. Issus du métier, leurs associés se retrouvent dans la position de chef d’entreprise sans y avoir été préparés et tardent souvent à le réaliser.
La question de la gouvernance apparait alors pour accompagner les transformations inhérentes au changement d’échelle. L’organisation doit servir des objectifs qui vont bien au-delà de la prestation de conseil avec deux impératifs, structurer et professionnaliser.
Traditionnellement, le fonctionnement d’un cabinet d’avocat, d’expert-comptable ou de conseil en propriété industrielle s’apparente à une coopérative de production dans laquelle la relation de l’associé avec ses collaborateurs et ses clients repose sur l’intuitu personae. En l’absence de cadre et de contrôle, ce sont souvent les individualités qui conditionnent les conduites professionnelles, le statut primant sur toute autre considération.
La spécificité des organisations libérales réside dans leur structure capitalistique et organisationnelle régie par la concentration des pouvoirs et des rôles, l’associé étant tour à tour actionnaire, administrateur, producteur de service et vendeur.
Bien qu’hétérogènes, ces entités souffrent fréquemment d’un manque de transparence d’information, d’objectifs flous et d’une absence de contrôle de la performance des dirigeants.
Dans ce contexte, l’étape fondamentale d’audit de l’équipe dirigeante fait aussi apparaitre les premiers grincements. La réorganisation des pouvoirs dans laquelle les organes chargés d’élaborer la stratégie (conseil d’administration, comité de gérance, advisory board…) sont distincts de ceux qui assurent sa mise en œuvre (CODIR, COMEX, Management Committee…) et l’intégration de nouvelles compétences requièrent en effet des dirigeants qu’ils aient la maturité suffisante pour reconnaitre leurs forces et leurs faiblesses et agir en conséquence.
Cela commence dès le choix et l’évaluation des dirigeants dont la sélection ne repose plus sur la capacité à facturer mais l’aptitude à diriger et la personnalité. C’est l’affectio societatis comme gage d’adhésion au projet collectif et de valeurs partagées.
Il en va de la réussite du projet qui permettra de recruter des experts sans les percevoir comme une menace, de déléguer sans craindre de perdre son aura et d’éviter les pièges de l’hyper contrôle, du micro-management ou de la résistance au changement.
Un autre défi posé aux associés dirigeants est le difficile équilibre à trouver entre la gestion des dossiers et du cabinet dans des systèmes où la facturation conditionne souvent le mode de rémunération.
Sur le plan des moyens financiers, le statut des professions réglementées complexifie également la mobilisation des ressources financières en limitant les possibilités de levées de fonds et d’intégration d’investisseurs au capital, ce qui constitue aujourd’hui un frein majeur à leur développement.
Le mode de gouvernance comme système d’organisation des pouvoirs doit toutefois s’analyser au regard du contexte dans lequel il s’inscrit mais aussi de l’esprit sous-tendu par cette notion afin d’en limiter les dérives.
A une époque où le pouvoir a mauvaise presse, la notion de gouvernance semble répondre au nouveau modèle sociétal basé sur les valeurs d’écoute et de concertation. Là où la direction apparait indissociable de la domination, la gouvernance semble s’opposer à toute forme de contrainte.
Ce glissement terminologique révèle en réalité une vraie rupture incarnée par les notions d’intérêt social et de raison d’être consacrées par la loi Pacte.
Elle se traduit notamment par les fameuses parties prenantes que l’entreprise est susceptible d’impacter et dont la liste est aussi longue que leurs intérêts sont divergents.
Dans ce changement de paradigme, l’autorité disparaît peu à peu au profit du consensus par une prise de décision concertée qui se rapproche dangereusement de la cogestion.
Le risque de dissolution des responsabilités et de paralyse de la direction représentent alors un réel péril pour l’entreprise.
Initialement créée pour repenser la place du dirigeant au sein de l’entreprise, c’est désormais la place de l’entreprise au sein de la société que la gouvernance ambitionne d’organiser.